Le lendemain matin de très bonne heure, à la fraîcheur, une autre machine nous attendait: la tarare ventarelle.

 Cette machine infernale servait a séparer du grain les petits morceaux de paille, les graines de mauvaises herbes, les piquants (coousside) qui se trouvaient dans les gerbes et le grain de la veille qui était au pied du poteau. Un bon coup de balai sur l’aire et nous étalions une grande bâche, tenue par le poids de la tarare qui était toujours tournée dans le sens du vent. Le grain propre sortait de l’arrière de la machine. Pour faire ce travail, il fallait être au moins quatre: les quatre frères, Marius, Paul, Noël, et votre serviteur Marcel. Mon grand frère montait sur une caisse à vendange pour être à la hauteur du tamis. C’était lui le chef: il était équipé d’une paire de lunettes en verre de motocycliste de l’époque (cette paire de lunettes restait accrochée d’une année sur l’autre à la machine pour ne pas la perdre). Nous étions tous torse nu car il y avait énormément de poussière. Mon frère Paul remplissait des grands sceaux au pied du poteau et les vidait dans la goulotte de réserve qui se trouvait au point le plus haut de la ventarelle.  Nous autres, nous avions le plus mauvais travail c'est à dire de tourner la grande manivelle de la tarare. Il fallait y mettre les deux mains et toute notre force pour la démarrer. A l’intérieur du gros tambour, il y avait plusieurs grandes pâles qui envoyaient de l’air sous une grille, qui elle-même balançait dans un mouvement horizontal, à la manière d’un tamis à main. Une fois la machine à la bonne vitesse, il fallait maintenir toujours la même cadence à la manivelle. Mon frère ouvrait la trappe de la réserve; de la main gauche il faisait tomber le grain sur la grille, de l’autre main il l’étalait sur toute sa largeur pour faire passer plus vite, et un nuage de  poussière sortait de l’avant de la machine. Pendant que je tournais la manivelle, Noël retirait à la main les premiers grains propres qui sortaient de l’arrière de la tarare. Sur un côté, il y avait une petite goulotte d'où sortait le crapier. Un sac était accroché pour recevoir tous les morceaux d’herbes, les graines de toutes sortes, les petits graviers, les graines de coquelicots. Ce sac était destiné aux poules:  elles triaient ce qui était bon pour elles.

Machine infernale

A la manivelle, nous nous remplacions à tour de rôle, mais il y avait des moments de fatigue car ce travail était dur pour des enfants de notre âge, 12 et 13 ans. La machine faisait un  bruit énorme, nous ne pouvions pas nous parler. Lorsque la cadence changeait, mon frère le sentait au bruit, il nous jetait un regard à travers ses lunettes de verre, d’un air de dire: "plus vite !!"  Mon grand-père, après avoir soigné les bêtes, venait nous donner un coup de main et nous remplaçait un peu à la manivelle. A mesure que le tas qui se trouvait au pied du poteau diminuait, le grain propre à l’arrière de la machine augmentait. Nous étions les pieds nus et à genoux pour retirer le grain. Quand tout était passé, la machine arrêtée, nous allions nous rafraîchir au puits. On se secouait les uns des autres. Le plus empoussiéré,  c’était mon frère Marius, le chef. Ses lunettes de motocycliste enlevées, il n'avait que le tour des yeux propre, on aurait dit un singe gris !

Mais le travail n’était pas terminé. Il fallait remplir les sacs avec tout le grain qui se trouvait sur la bâche. Nous les remplissions avec une pelle en bois ou un seau. Il faut savoir tenir un sac pour qu’un autre le remplisse. Un fois les sacs remplis d’environ 80 à 100 kg de grain, on les montait au grenier, soit avec une carrelle, ou à dos d’homme, tout dépendait où il fallait les entreposer.

  Le foulage du grain durait presque deux mois. Il nous arrivait souvent de fouler plusieurs jours de suite, pour ne pas mettre en route à tout moment la tarare, nous attendions qu’il y ait un gros tas au pied du poteau. Quant à toutes les impuretés (poutras) qui sortaient de la machine, nous en faisions un gros tas aux alentours de l’aire: les poules venaient y grappiller quelques graines.

 

 

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