Les
labours
Puisque
nous sommes dans les labours d’antan, il faut que je vous explique la période
des gros labours. Faire un guéré consistait à faire un labour profond avec
une grosse charrue (Allemande). Il y en avait trois modèles qui marchaient par
numéro : la 10 qui était de petite taille par rapport aux autres, la 16
qui était importante, tirée par six chevaux, et la plus grosse,
la 18, tirée par huit bêtes au moins. Cette charrue avait la
particularité d’être en deux parties tout en fer, et d’avoir un train
avant avec deux roues, une grande et une autre plus petite. Entre les roues, il
y avait un support réglable verticalement et horizontalement en forme de fer à
cheval. A l’axe du support venait
reposer le bout du bras de la charrue. Cette dernière était reliée par deux
grosses chaînes réglables par des tournes-à-gauche. Hors de terre, cette
charrue avait une hauteur d’un mètre environ.
Les
six ou huit chevaux étaient attelés par deux (en couble dans le parler des
paysans). Les deux plus puissants étaient les premiers devant la charrue, deux
autres devant, plus les deux de tête, cela faisait un sacré attelage de dix à
douze mètres de long environ. Pour les atteler, pour se reconnaître dans tout
cet harnachement, de colliers, trait, crochets, de guides pour chaque Couble, il
fallait être du métier. Tous les paysans ne possédaient pas six ou huit
chevaux : ils se les prêtaient les uns aux autres, mais il fallait
qu’ils se rendent les journées. Les labours d’hiver duraient souvent plus
d’un mois. Les paysans attelaient le matin lorsque le soleil était levé.
Souvent il y avait une petite gelée blanche, la blanquade d’automne.
Vus de la charrue, les quatre chevaux de droite étaient dans
le sillon, et les quatre autres sur le bord, (lou crestin).
Pour commencer à labourer, il fallait, comme pour semer, soit partir par
les bords du champ et tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre,
soit partir du centre, mais il fallait le mesurer et planter quelques cannes
pour ouvrir la première raie bien droite. Une fois tout en place et la raie
ouverte, le premier voyage fait, c’est là qu’entrait en jeu la petite et la
grande roue de la charrue. A partir du deuxième voyage la grande roue
de droite passait dans la raie, la plus petite,
la gauche, passait sur le champ :
de ce fait l’avant train de la charrue était bien horizontal.
Pour
le réglage de la charrue, il y avait le
réglage de la profondeur et de la largeur de la coupe. Une fois bien réglée,
dans de la bonne terre, elle
marchait presque toute seule. Mon frère Marius était très fort pour régler
les charrues.
Celui
qui conduisait les chevaux avait du travail à les surveiller, car dans le
nombre il y avait des tire-aux -flancs, (comme pour les hommes). Il se fiait à
la hauteur des trois palonniers juste devant la charrue. Lorsqu’il
voyait un palonnier en arrière par rapport à l’autre, avec le bout de
son fouet il donnait un petit coup sur la croupe du traînard, mais sans jamais
lui faire mal : rares étaient les paysans qui maltraitaient leurs bêtes ;
ils étaient montrés du doigt et ils n’avaient pas une bonne réputation. Il
en était de même pour celui qui avait un cheval maigre ou sale.
Souvent
les chevaux ne se connaissaient pas et il y avait un peu de bousculade dans les
rangs au départ, mais rien de bien méchant. Après quelques aller-retour de
labour, tout rentrait dans l’ordre. Lorsque les chevaux arrivaient au bout du
champ, pour pouvoir continuer à labourer, les premiers commençaient à
tourner, les deux autres de derrière les suivaient, les deux derniers les plus
gaillards qui étaient attelés juste devant la charrue (au talon) avaient le
dur travail de continuer à tirer pour pouvoir la sortir de la terre sur
quelques mètres. Les pauvres bêtes faisaient le travail de six ou huit chevaux !
Ces
labours d’hiver, faits avec une grosse charrue, servaient au printemps pour la
culture des aulx (aillé), des melons (miélon), des produits qui poussent au
sec, vu que dans notre région il ne pleut presque pas dans l’été. Ce labour
gardait plus l’humidité qu’un labour peu profond.
Dans
les années 1946-47, mon frère aîné fit l’acquisition d’un tracteur
d’occasion de marque Austin qui datait de l’entre-deux-guerres. Là où il
aurait fallu huit chevaux, avec ce tracteur nous pouvions labourer avec la
grosse charrue Allemande. Ce tracteur avait les quatre roues en fer ;
celles de l’arrière avaient des gros crampons ; ces derniers étaient démontables
pour pouvoir rouler sur la route sans risque de démolir le goudron. Mais il
fallait une remorque pour transporter ces crampons, tellement ils étaient
lourds. Ce tracteur marchait au pétrole, mais
il fallait le démarrer à l’essence, avec la manivelle à l’avant.
Attention aux retours qui pouvaient vous casser le pouce ou le poignet. Une fois
le moteur chaud, il fallait fermer le robinet d’essence et en même temps
ouvrir celui du pétrole. A ce moment-là, une grande fumée blanche sortait de
l’échappement pendant quelques minutes. Ce tracteur était très dur à manœuvrer.
Moi, du haut de mes quatorze ans, j’avais toutes les peines du monde pour
tourner ce gros volant en bois. Lorsque nous arrivions au bout de la raie, il
fallait tourner progressivement, sinon les roues avant se mettaient complètement
en travers et alors il fallait faire de gros efforts en marche arrière pour
pouvoir les remettre d’aplomb. Mais à l’arrière il y
avait la grosse charrue et pas trop de place pour manœuvrer. Avant, arrière…
nous perdions du temps, mon frère prenait des colères folles de voir que je
n’arrivais pas à tourner au bout
des raies. Il me disait : «mets-toi à la charrue !! »
La
charrue, pour la rentrer et la sortir de la terre, j’avais de la peine aussi,
mais tant bien que mal nous arrivions à labourer les champs.
Pour
moissonner, le tracteur avait remplacé les chevaux qui eux restaient à l’écurie.
Je suis sûr qu’ils ne demandaient pas mieux !!…
J’ai
oublié de vous dire que quelques jours avant de labourer, il fallait épandre
dur le champ une bonne couche de fumier de cheval ou de brebis, le meilleur étant
celui de brebis (Fède). Nous le transportions avec une charrette ou un
tombereau, nous faisions des tas espacés de dix mètres environ qu’il fallait
par la suite répandre à la fourche, parfois toute la journée. Ce travail était
pénible. Entre le train avant et la charrue, il y avait un petit soc, un
toubaïré.
Ce soc était réglé en profondeur de sorte que le dessus de la terre avec le
fumier tombait dans la raie avant d’être recouvert par la charrue elle même.
L’année suivante après la récolte
d’aulx ou de melons un petit labour suffisait pour faire par la suite des céréales :
blés, orges, ou autres, et qui donnaient un bon rendement vu que le champ avait
été fumé l’année précédente. Au printemps, lorsque les semés étaient
bien verts, on pouvait nettement apercevoir les endroits où les chevaux avaient
fait leur crottes ( léi pètes) : le
semé était plus haut et plus vert sur
un diamètre de cinquante centimètres. A cette saison, il fallait passer le
rouleau en bois seulement sur le blé pour le faire taller pour que la pousse se
multiplie, et aussi pour tasser le terre que le gel de l’hiver avait soulevée.
Un peu plus tard, il fallait envoyer un peu de nitrate (ammonite) pour qu’il y
ait un meilleur rendement. Après tous ces travaux, il ne restait plus qu’à
attendre un peu de pluie, mais surtout pas de gros orages ou de la grêle à la
fin Juin, car souvent les semés à
cette époque sont hauts et l’orage les couche, ce qui provoque souvent une
perte importante de la récolte, et rend la moisson plus compliqué ;
que faire ? Attendre la fin Juillet pour moissonner…